Avec Galileo,l'Union européenne
fait le choix de l'indépendance
Par Yves Clarisse
BRUXELLES (Reuters) - L'Union européenne
fait le choix de l'indépendance technologique par
rapport aux Etats-Unis en lançant définitivement
Galileo, un système de positionnement par satellite
concurrent du GPS américain.
Les ministres des Transports des
Quinze ont donné leur feu vert au déblocage de 450
millions d'euros pour la phase de développement, qui
permettra de préparer le déploiement d'une trentaine
de satellites à partir de 2006. En tout, le projet
devrait coûter quelque 3,4 milliards d'euros.
"L'enjeu était de savoir si
l'Union européenne voulait être souveraine ou si elle
acceptait d'être un marché subordonné", a déclaré
le ministre espagnol des Transports Francisco
Alvarez-Casco, dont le pays préside pour l'instant l'UE.
"C'est une décision tout à
fait historique pour l'Europe", a renchéri son
homologue français Jean-Claude Gayssot, qui a comparé
Galileo à la fusée Ariane ou au programme Airbus.
Pour la Commission européenne, ce
projet-phare de la recherche européenne, qui a
d'innombrables applications civiles et militaires, est
d'une importance comparable à l'invention de la montre
ou à la téléphonie mobile dans les années 1990.
Outre ses implications civiles pour
lesquelles il est conçu - le positionnement par
satellite permet par exemple de localiser les bateaux,
les voitures ou les avions, réduisant les risques de
congestion ou d'accidents, et les satellites
embarqueront une horloge atomique -, Galileo a un intérêt
militaire évident, par exemple pour le ciblage des
missiles.
ENORMES PRESSIONS AMERICAINES
Ce projet était pourtant en état
de mort clinique il y trois mois à peine en raison des
pressions américaines, qui ont culminé le 1er décembre
dernier avec une lettre aux Quinze du sous-secrétaire
américain à la Défense Paul Wolfowitz.
Pour Washington, Galileo est
inutile, voire dangereux, puisqu'il pourrait créer des
interférences nuisibles au
GPS.
Une demi-douzaine de pays, emmenés
par le Royaume-Uni et les Pays-Bas, se demandaient quel
était l'intérêt d'investir des centaines de millions
d'euros d'argent public pour développer un système que
les Etats-Unis promettent de fournir gratuitement.
Ces pays pointaient du doigt le peu
d'empressement des entreprises privées à s'engager
dans le projet pour dénoncer le risque de créer un
nouvel et coûteux "éléphant blanc".
Le succès de mardi est dû à la
persévérance de la Commission européenne et à
l'insistance de plusieurs pays, dont la France, pour
lesquels Galileo est un instrument essentiel pour
l'autonomie technologique et militaire de l'Union européenne.
"Les Etats-Unis ont effectué
une pression maximum pour que la décision ne soit pas
prise", a expliqué Jean-Claude Gayssot lors d'une
conférence de presse. "Si nous avions cédé à
cette pression, je crois que l'Europe y aurait
perdu".
Si le GPS est avant tout un système
militaire dont les bénéfices sont étendus aux civils
quand l'armée américaine le permet, Galileo fait le
cheminement inverse: c'est un système civil qui peut
avoir des applications militaires.
Jacques Chirac ne manque pas une
occasion de stigmatiser le risque de
"vassalisation" de l'Europe, rappelant que les
Etats-Unis ont déconnecté le GPS pendant la guerre du
Golfe, privant les utilisateurs privés de cette
technologie.
"Le lancement du programme
Galileo est une excellente nouvelle pour l'Europe et
pour la France", a réagi le Premier ministre
Lionel Jospin, dans un communiqué.
"Il était fondamental que
l'Europe, qui a su montrer avec Ariane ou Airbus qu'elle
était capable de se placer au premier plan mondial, développe,
s'agissant de cette technologie stratégique, son propre
système. Elle pourra ainsi faire de Galileo une référence
comme l'est aujourd'hui le GPS".
LOCALISATION PLUS PRECISE QUE LE
GPS
Ces pays soulignent que nombre
d'entreprises privées sont prêtes à investir si les
pouvoirs publics amorçaient la pompe, comme l'a
d'ailleurs prouvé une étude du consultant
PricewaterhouseCoopers insistant sur la rentabilité du
projet.
Selon la Commission, la mise de départ
équivaut au coût de 150 km d'autoroutes semi-urbaines
ou du tunnel Lyon-Turin et créera 150.000 emplois de
haute technologie dans l'UE.
L'Allemagne, qui se rangeait dans
le camp des sceptiques, a fini par céder à ces
arguments en février dernier, faisant définitivement
pencher la balance en faveur de Galileo.
Le financement de la phase de développement
(1,1 milliard d'euros au total), qui sera assuré à
parts égales par l'Agence spatiale européenne (ESA) et
l'Union européenne, permettra de lancer les quatre
premiers satellites qui valideront le signal et de
commencer à bâtir les infrastructures au sol.
Une "entreprise commune"
sera créé pour gérer le projet, les entreprises privées
ne pouvant y participer qu'après la conclusion de
l'appel d'offres pour le consortium qui pilotera le
projet pendant la phase de déploiement à partir de
2006.
Vingt-six autres satellites seront
lancés pendant cette phase de déploiement, qui coûtera
2,2 milliards d'euros, dont un tiers d'argent public et
le reste financé par le secteur privé. Huit satellites
de réserve seront également construits.
Des négociations se dérouleront
avec les Américains pour que les systèmes Galileo et
GPS soient complémentaires.
Washington a immédiatement fait
contre mauvaise fortune bon coeur en offrant sa coopération
à l'Union européenne.
"Les Etats-Unis sont intéressés
à coopérer avec l'UE pour assurer que Galileo est
compatible avec le Global Positioning System (GPS) américain",
peut-on lire dans un communiqué de la mission américaine
auprès de l'Union.
Si tout se déroule comme prévu,
les Européens disposeront en 2008 d'un système plus précis
que son concurrent américain: le GPS III permettra de
localiser une voiture dans une rue, le système européen
dans un garage.
source Yahoo espace