mardi 26 mars 2002, 19h03

 Avec Galileo,l'Union européenne fait le choix de l'indépendance

Par Yves Clarisse

BRUXELLES (Reuters) - L'Union européenne fait le choix de l'indépendance technologique par rapport aux Etats-Unis en lançant définitivement Galileo, un système de positionnement par satellite concurrent du GPS américain.

Les ministres des Transports des Quinze ont donné leur feu vert au déblocage de 450 millions d'euros pour la phase de développement, qui permettra de préparer le déploiement d'une trentaine de satellites à partir de 2006. En tout, le projet devrait coûter quelque 3,4 milliards d'euros.

"L'enjeu était de savoir si l'Union européenne voulait être souveraine ou si elle acceptait d'être un marché subordonné", a déclaré le ministre espagnol des Transports Francisco Alvarez-Casco, dont le pays préside pour l'instant l'UE.

"C'est une décision tout à fait historique pour l'Europe", a renchéri son homologue français Jean-Claude Gayssot, qui a comparé Galileo à la fusée Ariane ou au programme Airbus.

 

Pour la Commission européenne, ce projet-phare de la recherche européenne, qui a d'innombrables applications civiles et militaires, est d'une importance comparable à l'invention de la montre ou à la téléphonie mobile dans les années 1990.

 

Outre ses implications civiles pour lesquelles il est conçu - le positionnement par satellite permet par exemple de localiser les bateaux, les voitures ou les avions, réduisant les risques de congestion ou d'accidents, et les satellites embarqueront une horloge atomique -, Galileo a un intérêt militaire évident, par exemple pour le ciblage des missiles.

 

ENORMES PRESSIONS AMERICAINES

 

Ce projet était pourtant en état de mort clinique il y trois mois à peine en raison des pressions américaines, qui ont culminé le 1er décembre dernier avec une lettre aux Quinze du sous-secrétaire américain à la Défense Paul Wolfowitz.

 

Pour Washington, Galileo est inutile, voire dangereux, puisqu'il pourrait créer des interférences nuisibles au

 

GPS.

 

Une demi-douzaine de pays, emmenés par le Royaume-Uni et les Pays-Bas, se demandaient quel était l'intérêt d'investir des centaines de millions d'euros d'argent public pour développer un système que les Etats-Unis promettent de fournir gratuitement.

 

Ces pays pointaient du doigt le peu d'empressement des entreprises privées à s'engager dans le projet pour dénoncer le risque de créer un nouvel et coûteux "éléphant blanc".

 

Le succès de mardi est dû à la persévérance de la Commission européenne et à l'insistance de plusieurs pays, dont la France, pour lesquels Galileo est un instrument essentiel pour l'autonomie technologique et militaire de l'Union européenne.

 

"Les Etats-Unis ont effectué une pression maximum pour que la décision ne soit pas prise", a expliqué Jean-Claude Gayssot lors d'une conférence de presse. "Si nous avions cédé à cette pression, je crois que l'Europe y aurait perdu".

 

Si le GPS est avant tout un système militaire dont les bénéfices sont étendus aux civils quand l'armée américaine le permet, Galileo fait le cheminement inverse: c'est un système civil qui peut avoir des applications militaires.

 

Jacques Chirac ne manque pas une occasion de stigmatiser le risque de "vassalisation" de l'Europe, rappelant que les Etats-Unis ont déconnecté le GPS pendant la guerre du Golfe, privant les utilisateurs privés de cette technologie.

 

"Le lancement du programme Galileo est une excellente nouvelle pour l'Europe et pour la France", a réagi le Premier ministre Lionel Jospin, dans un communiqué.

 

"Il était fondamental que l'Europe, qui a su montrer avec Ariane ou Airbus qu'elle était capable de se placer au premier plan mondial, développe, s'agissant de cette technologie stratégique, son propre système. Elle pourra ainsi faire de Galileo une référence comme l'est aujourd'hui le GPS".

 

LOCALISATION PLUS PRECISE QUE LE GPS

 

Ces pays soulignent que nombre d'entreprises privées sont prêtes à investir si les pouvoirs publics amorçaient la pompe, comme l'a d'ailleurs prouvé une étude du consultant PricewaterhouseCoopers insistant sur la rentabilité du projet.

 

Selon la Commission, la mise de départ équivaut au coût de 150 km d'autoroutes semi-urbaines ou du tunnel Lyon-Turin et créera 150.000 emplois de haute technologie dans l'UE.

 

L'Allemagne, qui se rangeait dans le camp des sceptiques, a fini par céder à ces arguments en février dernier, faisant définitivement pencher la balance en faveur de Galileo.

 

Le financement de la phase de développement (1,1 milliard d'euros au total), qui sera assuré à parts égales par l'Agence spatiale européenne (ESA) et l'Union européenne, permettra de lancer les quatre premiers satellites qui valideront le signal et de commencer à bâtir les infrastructures au sol.

Une "entreprise commune" sera créé pour gérer le projet, les entreprises privées ne pouvant y participer qu'après la conclusion de l'appel d'offres pour le consortium qui pilotera le projet pendant la phase de déploiement à partir de 2006.

Vingt-six autres satellites seront lancés pendant cette phase de déploiement, qui coûtera 2,2 milliards d'euros, dont un tiers d'argent public et le reste financé par le secteur privé. Huit satellites de réserve seront également construits.

Des négociations se dérouleront avec les Américains pour que les systèmes Galileo et GPS soient complémentaires.

 

Washington a immédiatement fait contre mauvaise fortune bon coeur en offrant sa coopération à l'Union européenne.

"Les Etats-Unis sont intéressés à coopérer avec l'UE pour assurer que Galileo est compatible avec le Global Positioning System (GPS) américain", peut-on lire dans un communiqué de la mission américaine auprès de l'Union.

Si tout se déroule comme prévu, les Européens disposeront en 2008 d'un système plus précis que son concurrent américain: le GPS III permettra de localiser une voiture dans une rue, le système européen dans un garage.

source Yahoo espace