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Mise en orbite le 20 février 1986, Mir demeure la plus vieille station
spatiale en activité. Ses différents occupants (104 astronautes au
total) y ont battu de nombreux records de présence dans l'espace:
Valeri Poliakov y a effectué le plus long séjour (437,7 jours entre
1994 et 1995). Mais la «datcha volante» a aussi collectionné les
avaries les plus dramatiques: feu à bord (février 1997), pannes électriques
diverses (1994 et 1997), collision avec un vaisseau-cargo (juin 1997),
pertes de contact (2000), etc. Autant d'épisodes qui en font l'une des
aventures spatiales les plus rocambolesques et les plus passionnantes de
l'histoire de l'aéronautique. Dans quelques semaines, les ingénieurs
russes du centre de contrôle des vols spatiaux (Tsoup), près de
Moscou, en joueront le dernier épisode: la chute finale.
Acte I
Dernier baiser
Ironie du sort, l'ultime véhicule à venir embrasser Mir aura été un
cargo Progress, qui fut tout au long de l'épopée son vaisseau de
ravitaillement. Arrimé à la station depuis le samedi 27 janvier, il
sera aussi son «fourgon mortuaire». Dans ses soutes, 2,67 tonnes de
carburant (trois fois plus qu'à l'accoutumée) alimenteront ses moteurs
pour projeter la datcha volante vers les couches denses de l'atmosphère.
Mais, durant le mois de février, le Progress restera sagement blotti
tout contre la station, le temps que celle-ci passe «mécaniquement»
de son altitude actuelle (300 kilomètres) à une orbite basse (240 kilomètres).
Au sol, un équipage d'astronautes continuera à s'entraîner
quotidiennement à la Cité des étoiles, près de Moscou, pour jouer
les «pompiers de l'espace» en cas de panne grave à bord de la
station.
Acte II
Douce dégringolade
Début mars, les ingénieurs du Tsoup décideront d'enclencher la phase
de «désorbitation». Ils rallumeront les moteurs du Progress pendant
quelques minutes pour pousser Mir dans le sens inverse de sa
trajectoire. La station, qui filait jusque-là à 8 kilomètres par
seconde, sera freinée et, sous l'action de la gravité, perdra
rapidement de la hauteur. Autour de 210 kilomètres d'altitude, les
Russes stopperont la descente pour recalculer l'orbite du complexe
spatial, analyser son comportement et les effets de la poussée.
Une telle manoeuvre sera renouvelée deux fois pour que Mir passe de 210
à 200, puis de 200 à 190 kilomètres. «Les ingénieurs procéderont
en escalier pour éviter une chute trop brutale», précise Lionel
Suchet, l'ancien responsable des missions vols habités pour le Centre
national d'études spatiales (Cnes) et qui fera partie des trois Français
dépêchés à Moscou pour l'occasion. Nombre de paramètres doivent être
scrupuleusement contrôlés, notamment la densité atmosphérique liée
à l'activité solaire. «Celle-ci, particulièrement changeante, rend
impossible d'arrêter une date précise à la désorbitation»,
souligne-t-il. Mais perdre le contact avec la station, comme ce fut le
cas en décembre, serait catastrophique à cet instant des opérations,
d'autant qu'il serait déjà trop tard pour envoyer un équipage de
secours.
Acte III
Coup de grâce
Les ingénieurs situent à 190 kilomètres d'altitude la limite de contrôle
de la datcha volante. Ils donneront alors la dernière impulsion pour précipiter
l'engin dans l'atmosphère: Mir n'aura plus que trente minutes à vivre.
En espérant que le petit vaisseau-cargo contiendra encore assez de
carburant pour effectuer une longue poussée (une centaine de kilomètres
plus bas), au risque de voir la station finir sa course au-delà du
Pacifique, un peu n'importe où à la surface du globe... En 1979, cet
ultime coup de pouce n'avait pas été suffisant pour la station américaine
Skylab, dont certains débris atteignirent l'ouest de l'Australie.
Après quinze ans d'existence, Mir est un assemblage hétéroclite de
six modules pas vraiment aérodynamiques. Elle devra alors «attaquer»
l'atmosphère dans une position et sous un angle particuliers
impossibles à obtenir à partir du sol. Ainsi, le dernier équipage à
l'avoir visitée avait pris la précaution de lui adjoindre une panoplie
d'ordinateurs capables de gérer ces détails. Le moindre écart de
positionnement, même de quelques dixièmes de degré, modifierait
considérablement la taille de la zone arrosée par les débris. En
1991, l'ancêtre de Mir connut semblable discordance au moment de sa «désorbitation».
Conséquence: l'un des plus gros débris - de la taille d'une machine à
laver - s'était abattu sur une ferme du nord de l'Argentine...
Acte IV
Désintégration
Au contact de l'atmosphère, les experts estiment que 80% de la station
russe devrait se désintégrer. «Au-dessous de 100 kilomètres
d'altitude, Mir devrait perdre ses antennes et ses panneaux solaires.
Mais l'essentiel de la fragmentation se fera autour de 80 kilomètres:
en se frottant aux masses d'air, les éléments de la station vont subir
de très hautes températures, de l'ordre de 1 500 degrés. La
plupart vont fondre, comme les modules en aluminium, mais les pièces en
acier, en titane ou en matériaux composites (à base de carbone), tels
que les noeuds de liaisons les moteurs ou encore les tuyères, seront
les plus gros morceaux à résister à l'atmosphère», précise Fernand
Alby, le responsable des débris spatiaux au Cnes. Les fragments les
plus importants pourraient peser jusqu'à 700 kilos, selon les
scientifiques russes. De quoi écraser «une chape en béton armé de 2
mètres de large», a cru bon de préciser l'un d'eux...
Acte V
Mortel impact
Après avoir survolé une dernière fois l'Afrique, la Méditerranée,
la Russie, l'Asie et l'Australie, Mir devrait s'écraser à l'extrême
nord-ouest de la Nouvelle-Zélande, au beau milieu de l'océan (à 1 500
ou 2 000 kilomètres des côtes australiennes). Au total, 30 tonnes
sur les 137 de son poids initial tomberont dans le Pacifique sud, soit
la plus grosse masse jamais ramenée sur Terre. Devant pareil spectacle,
prévu au plus tard le 6 mars, la zone d'impact - sorte de «haricot géant»
de 5 000 kilomètres de longueur sur 200 de largeur - connaîtra
une affluence record. Russes et Américains déploieront à son
voisinage des moyens militaires navals et aériens sans précédent. Eux
seuls devraient voir Mir, costumée en étoiles filantes, toucher
l'empire de l'onde.
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