La station Mir

L'Express du 01/02/2001

Espace

C'est la chute finale!

par Bruno D. Cot

Extrait de L'express du 01 02 2001

Début mars, la station spatiale russe amorcera sa descente vers notre atmosphère, où elle se désintégrera. Reste à prier sainte Technologie

Mise en orbite le 20 février 1986, Mir demeure la plus vieille station spatiale en activité. Ses différents occupants (104 astronautes au total) y ont battu de nombreux records de présence dans l'espace: Valeri Poliakov y a effectué le plus long séjour (437,7 jours entre 1994 et 1995). Mais la «datcha volante» a aussi collectionné les avaries les plus dramatiques: feu à bord (février 1997), pannes électriques diverses (1994 et 1997), collision avec un vaisseau-cargo (juin 1997), pertes de contact (2000), etc. Autant d'épisodes qui en font l'une des aventures spatiales les plus rocambolesques et les plus passionnantes de l'histoire de l'aéronautique. Dans quelques semaines, les ingénieurs russes du centre de contrôle des vols spatiaux (Tsoup), près de Moscou, en joueront le dernier épisode: la chute finale.

Acte I
Dernier baiser
Ironie du sort, l'ultime véhicule à venir embrasser Mir aura été un cargo Progress, qui fut tout au long de l'épopée son vaisseau de ravitaillement. Arrimé à la station depuis le samedi 27 janvier, il sera aussi son «fourgon mortuaire». Dans ses soutes, 2,67 tonnes de carburant (trois fois plus qu'à l'accoutumée) alimenteront ses moteurs pour projeter la datcha volante vers les couches denses de l'atmosphère. Mais, durant le mois de février, le Progress restera sagement blotti tout contre la station, le temps que celle-ci passe «mécaniquement» de son altitude actuelle (300 kilomètres) à une orbite basse (240 kilomètres). Au sol, un équipage d'astronautes continuera à s'entraîner quotidiennement à la Cité des étoiles, près de Moscou, pour jouer les «pompiers de l'espace» en cas de panne grave à bord de la station.

Acte II
Douce dégringolade
Début mars, les ingénieurs du Tsoup décideront d'enclencher la phase de «désorbitation». Ils rallumeront les moteurs du Progress pendant quelques minutes pour pousser Mir dans le sens inverse de sa trajectoire. La station, qui filait jusque-là à 8 kilomètres par seconde, sera freinée et, sous l'action de la gravité, perdra rapidement de la hauteur. Autour de 210 kilomètres d'altitude, les Russes stopperont la descente pour recalculer l'orbite du complexe spatial, analyser son comportement et les effets de la poussée.
Une telle manoeuvre sera renouvelée deux fois pour que Mir passe de 210 à 200, puis de 200 à 190 kilomètres. «Les ingénieurs procéderont en escalier pour éviter une chute trop brutale», précise Lionel Suchet, l'ancien responsable des missions vols habités pour le Centre national d'études spatiales (Cnes) et qui fera partie des trois Français dépêchés à Moscou pour l'occasion. Nombre de paramètres doivent être scrupuleusement contrôlés, notamment la densité atmosphérique liée à l'activité solaire. «Celle-ci, particulièrement changeante, rend impossible d'arrêter une date précise à la désorbitation», souligne-t-il. Mais perdre le contact avec la station, comme ce fut le cas en décembre, serait catastrophique à cet instant des opérations, d'autant qu'il serait déjà trop tard pour envoyer un équipage de secours.

Acte III
Coup de grâce
Les ingénieurs situent à 190 kilomètres d'altitude la limite de contrôle de la datcha volante. Ils donneront alors la dernière impulsion pour précipiter l'engin dans l'atmosphère: Mir n'aura plus que trente minutes à vivre. En espérant que le petit vaisseau-cargo contiendra encore assez de carburant pour effectuer une longue poussée (une centaine de kilomètres plus bas), au risque de voir la station finir sa course au-delà du Pacifique, un peu n'importe où à la surface du globe... En 1979, cet ultime coup de pouce n'avait pas été suffisant pour la station américaine Skylab, dont certains débris atteignirent l'ouest de l'Australie.

Après quinze ans d'existence, Mir est un assemblage hétéroclite de six modules pas vraiment aérodynamiques. Elle devra alors «attaquer» l'atmosphère dans une position et sous un angle particuliers impossibles à obtenir à partir du sol. Ainsi, le dernier équipage à l'avoir visitée avait pris la précaution de lui adjoindre une panoplie d'ordinateurs capables de gérer ces détails. Le moindre écart de positionnement, même de quelques dixièmes de degré, modifierait considérablement la taille de la zone arrosée par les débris. En 1991, l'ancêtre de Mir connut semblable discordance au moment de sa «désorbitation». Conséquence: l'un des plus gros débris - de la taille d'une machine à laver - s'était abattu sur une ferme du nord de l'Argentine...

Acte IV
Désintégration
Au contact de l'atmosphère, les experts estiment que 80% de la station russe devrait se désintégrer. «Au-dessous de 100 kilomètres d'altitude, Mir devrait perdre ses antennes et ses panneaux solaires. Mais l'essentiel de la fragmentation se fera autour de 80 kilomètres: en se frottant aux masses d'air, les éléments de la station vont subir de très hautes températures, de l'ordre de 1 500 degrés. La plupart vont fondre, comme les modules en aluminium, mais les pièces en acier, en titane ou en matériaux composites (à base de carbone), tels que les noeuds de liaisons les moteurs ou encore les tuyères, seront les plus gros morceaux à résister à l'atmosphère», précise Fernand Alby, le responsable des débris spatiaux au Cnes. Les fragments les plus importants pourraient peser jusqu'à 700 kilos, selon les scientifiques russes. De quoi écraser «une chape en béton armé de 2 mètres de large», a cru bon de préciser l'un d'eux...

Acte V
Mortel impact
Après avoir survolé une dernière fois l'Afrique, la Méditerranée, la Russie, l'Asie et l'Australie, Mir devrait s'écraser à l'extrême nord-ouest de la Nouvelle-Zélande, au beau milieu de l'océan (à 1 500 ou 2 000 kilomètres des côtes australiennes). Au total, 30 tonnes sur les 137 de son poids initial tomberont dans le Pacifique sud, soit la plus grosse masse jamais ramenée sur Terre. Devant pareil spectacle, prévu au plus tard le 6 mars, la zone d'impact - sorte de «haricot géant» de 5 000 kilomètres de longueur sur 200 de largeur - connaîtra une affluence record. Russes et Américains déploieront à son voisinage des moyens militaires navals et aériens sans précédent. Eux seuls devraient voir Mir, costumée en étoiles filantes, toucher l'empire de l'onde.


Merci à L' express de cette publication qui  nous rappelle tant de choses